Une recherche d’intériorité forestière

Depuis 1990, après des immersions dans des forêts européennes dites aujourd’hui « en libre évolution »  par des scientifiques naturalistes considérant que nous n’avons plus vraiment de « forêts primaires » sur notre continent, et juste après la parution de mon livre « La Forêt primordiale » en 1996, je me suis mis à faire des recherches d’antériorité dans les arts, la littérature, et les sciences humaines pour repérer qui avait pu vivre pareilles expériences sur le plan sensible en se permettant d’en témoigner, sans seulement aplanir ses propos aux discours impersonnels de la biodiversité ? Car j’avais effectivement eu le sentiment d’avoir été touché par quelque chose d’universel qui ne pouvait être manqué par la conscience. J’ose même dire quelque chose de bien plus profond que ce que les sylvothérapeutes nous ont laissé entrevoir depuis…

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Bernard Boisson est écrivain, photographe, poète, auteur de plusieurs ouvrages sur la forêt sauvage, dontLa Forêt primordiale et **récemment La forêt est l’avenir de l’homme.

Vivre le vrai de la nature aide à localiser les cœurs de sujet dans la culture

A l’époque de mes expériences et de ma prospective, on ne parlait guère que d’Henry-David Thoreau, intéressant certes, mais ne disant pas tout. Fort heureusement, c’est sur le marché du livre d’occasion au Parc Georges Brassens (Paris XVe) que j’ai pu en 1996 découvrir le livre Hélier Fils des bois de Marie Le Franc dans une édition de 1935 à un moment où elle n’avait pas encore été exhumée de l’oubli.

Hélier fils des bois, un roman archétypal

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Qui dit « mythe » laisse entendre un moment de grâce vécu, et notre impossible retour vers les codes d’usages et de mœurs de notre société, suite à cette expérience.

Le livre Hélier Fils des bois est à mes yeux un roman mythique. S’il fallait penser à un mythe contemporain de l’écologie énoncé dans la littérature, je penserais d’emblée à cet ouvrage. Qui dit « mythe » laisse entendre un moment de grâce vécu, et notre impossible retour vers les codes d’usages et de mœurs de notre société, suite à cette expérience.

Cette « impossibilité » est vraiment un sujet d’excellence pour l’écopsychologie. Ma question reste ouverte que ce roman puisse détenir une part de transposition autobiographique car il est des sentiments décrits de forêt qui ne s’inventent pas quand on ne les a pas vécus. De même concernant les rapports humains…  L’histoire relate une jeune fille migrant au Canada, Julienne Javillier, découvrant une forêt dénommée « Le Tremblant ». Selon l’évocation, cette forêt semble encore régner dans la « primitivité » de son appartenance au point que l’humain s’y perçoit en étranger de passage. Hélier le Touzel est en regard de ce lieu le passeur, celui qui donne à découvrir. Tout son tempérament semble totalement habité par ce qu’il donne à voir. Il est taciturne, effacé mais serviable, d’une parole au compte-gouttes pour ne pas s’ingérer dans la majesté de l’ambiance. C’est en fait un crescendo d’amour au fil du temps qui affleure dans la jeune fille, dans lequel l’homme parait dissout dans plus grand que lui, et on ne discerne plus si elle vient à aimer l’homme, le lieu, ou un certain rapport humain/nature pas loin du sentiment océanique. Manifestement elle se sent suspendue à ne pas déranger cette unité ou ce continuum d’être.

Elle se contente de s’immerger dans cet état de perception. Arrive en deuxième acte, Renaut, l’archétype inverse, dandy, homme du monde, le verbe facile, le langage et les manières plus sophistiquées, venant à s’enticher de la demoiselle, et lui faisant des avances. Homme de bonne situation, elle comprend vite qu’un mariage avec lui serait très rapidement reconnu par sa famille et que tout est prêt pour une vie facile. Mais à mesure qu’elle cède à cette idée, monte en elle la conscience d’un amour venant du tréfonds, d’une authenticité autrement plus dépouillée, peut-être moins celui d’un couple homme/femme que celui du couple humain/nature remontant vers la source de l’Originel. Dès lors, arrive cet instant de tergiversation où tout peut basculer vers le non-retour…

Dans un décryptage plus psychologique, nous comprenons que les personnages incarnent aussi les facettes de nos tendances intimes quand nous sommes en porte-à-faux entre les états premiers de la nature et les mentalités conditionnées de notre société… C’est donc un livre prenant permettant plusieurs niveaux de lecture.

Marie Le Franc, une écrivaine méritant d’être réhabilitée

Marie Lefranc (1879-1964) était une institutrice bretonne de Sarzeau (Golfe du Morbihan) ayant passé une partie de sa vie au Québec. Elle obtint le prix Femina en 1927 pour un autre ouvrage  Grand-Louis L’innocent.

Aujourd’hui, une association nous la ressuscite et offre des balades literraires en Bretagne sur les pas de Marie Le Franc

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Balades Littéraires - Association Marie Le Franc

En savoir plus sur Marie Le France

Marie Le Franc - Wikipédia

Editions du livre

Hélier, fils des bois


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