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Une rencontre surprenante sur les chemins de l’écospiritualité, celle de Henry David Thoreau, l’auteur qui a inspiré des générations de naturalistes et de philosophes par son ouvrage “Walden ou la vie dans les bois” avec Colette Poggi, philosophe, indianiste, sanskritiste et inlassable chercheuse spirituelle. Quels points communs ? L’expérience profonde de la contemplation et de la réalisation de soi au contact de la nature et la compréhension du caractère universel de notre lien spirituel à la Terre et au Vivant. Cette rencontre se découvre à travers l’ouvrage publié récemment “Thoreau, Yogi des Bois”, Editions Equateurs.

Quelques pas avec Henry David Thoreau

« La terre sur laquelle je marche n’est pas une masse inerte et morte. Elle est un corps, elle possède un esprit, elle est organisée et capable de percevoir l’influence de son esprit, ainsi que la parcelle de cet esprit qui est en moi. »(Journal, V)

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Il faut se relier pour s’émerveiller. Et s’émerveiller pour se relier. C’est ainsi que Henry David Thoreau (1817-1862) décide un jour de se donner du temps pour cela. Il s’accorde la liberté de faire un pas de côté pour se relier à lui-même et s’émerveiller de la nature à temps plein ! Il a 27 ans et achève ses études à Harvard, lorsqu’il ressent cet irrésistible appel:

Il part, avec pour tout bagage quelques ouvrages sur la pensée orientale, dont la BhagavadGîtâ. Chaque matin, ce texte vénéré des hindous lui offre sa nourriture spirituelle et le remplit d’enthousiasme. Cette aventure dura deux ans, deux mois, deux jours.


« Je veux vivre près de l’eau, ne dépendre que de moi-même, trouver ce qu’est la vraie vie.». (Walden)

Une retraite dans les bois pour… se connecter à la vie et au monde

Dans sa cabane forestière, construite de ses mains, il ne s’isole pas du monde. Il s’engage contre l’esclavage, contre la guerre du Mexique, et publie en 1849 un texte devenu célèbre, Civil Disobedience(La Désobéissance Civile) dans The Boston Review où il théorise la désobéissance civile, inspirant notamment Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela, Vandana Shiva. Ce visionnaire, précurseur de l’écologie, s’insurge contre l’abattage des arbres pour les scieries, contre l’industrialisation et l’urbanisation galopantes. Il se consacre aussi àl’exploration de la culture amérindienne : il écrira 2000 pages d’une remarquable précision, et totalement novatrices, sur les pratiques des Indiens en tous domaines, langues, rituels, nourriture, art…

En yogi, Thoreau cultive l’art d’agir, comme l’art de l’instant présent :

« Je ne lus aucun livre le premier été ; je sarclai les haricots. Bien plus, je fis souvent mieux : certains jours je ne pouvais accepter de sacrifier la fraîche nouveauté du moment présent à aucune tâche, manuelle ou intellectuelle. J’aime à garder une marge généreuse dans ma vie. Parfois, un matin d’été, quand j’avais pris mon bain accoutumé, je restais assis au soleil jusqu’à midi, plongé dans mes rêveries, au milieu des pins, des noyers et des sumacs, dans une calme solitude que rien ne venait troubler, tandis que les oiseaux chantaient autour de moi, ou voletaient sans bruit… je vivais à cette époque comme vivent les plantes, comme le maïs croît la nuit… je me rendais compte de ce que les Orientaux entendent par contemplation. »(Walden)

Illustratio d’Emilie Poggi

Illustratio d’Emilie Poggi

Lire Thoreau : Walden ou la vie dans les bois, son Journal, c’est marcher à ses côtés, partager ses enthousiasmes, ses indignations, ses instants hors du temps. C’est, tout naturellement, entrer en amitié avec un poète en résonance avec l’univers, un être de conviction, au cœur ouvert.

Des amis universels et intemporels

Peu importe le lieu, le temps ou la culture de ces êtres qui un jour deviennent pour nous des amis universels. Car, sans les connaître, nous les avons choisis pour nous accompagner : leur regard lucide, l’ardeur de leur engagement, leur amour du vivant, tout cela nous porte, nous aide à y voir plus clair et à nous mettre en marche, à nous reconnecter avec nos racines : la terre,l’eau, le feu, le ciel,la faune et la flore. Thoreau avait déjà quitté Walden depuis 12 ans lorsqu’il évoque dans son Journal la voix familière et suggestive de la Nature :

Illustration d’Emilie Poggi

Illustration d’Emilie Poggi

« En gravissant la colline dans la parcelle boisée de Strow, j’écoute le bruissement sec et distinct des feuilles desséchées des jeunes chênes. Telle est désormais la voix du bois. […] On dirait le rugissement de la mer, et comme lui ce bruit revigore et enthousiasme… C’est le bruit du ressac, (le leitmotiv) d’un océan invisible… Je suis frappé par le caractère universel de ces murmures majestueux, de ces arrière-fonds sonores — le ressac, le vent dans la forêt, les cascades, etc.— qui néanmoins à l’oreille et par leur origine sont essentiellement une seule voix, la voix-terre, le souffle … de la créature. »(Journal, 2 janvier 1859

Pourquoi la plénitude ? A cette question, Thoreau aurait répondu comme Abhinavagupta,(X-XIes s.), l’un des plus éminents philosophes indiens, originaire du Cachemire. A partir de son expérience intérieure, il met en lumière une étonnante relation entre la plénitude l’amour (désintéressé) pour autrui. Du sentiment de plénitude, écrit-il, jaillit le sens de l’altruisme ; on ne peut que faire rayonner la bonté si la plénitude imprègne son être. Pourquoi ? Voici son raisonnement : l’essence du réel est la Vibration cosmique, spanda : « Tout vibre et frémit dans l’univers ». Une seule et même trame vibratoire intègre toutes choses, matérielles et immatérielles, et cette trame est l’espace lumineux, infini, de la Conscience de Shiva (symbolisant une intelligence originelle, l’Harmonie primordiale). Percevoir du dedans cette réalité vibratoire, par la seule expérience intuitive, car elle n’est pas mesurable, cela n’est pas donné qu’aux penseurs cachemiriens !

Ressentir la participation cosmique

Dans cette logique, tout être, peut ainsi dans la transparence à la vie, ressentir cette participation cosmique. La connaissance de soi, l’épanouissement de la nature profonde, génèrerait spontanément la mise en harmonie avec l’univers, l’amour altruiste.Dans ces temps de crise, toute stimulation pour nous aider à espérer, et à agir dans le sens du dharma, (Harmonie universelle), est bienvenue. Laissons le dernier mot à Thoreau, pour repartir, encore et encore, du bon pied, à la rencontre de la vie toujours nouvelle :

« J’appris au moins ceci par mon expérience : que si l’on avance avec confiance dans la direction de ses rêves, si l’on s’efforce de vivre la vie que l’on a imaginée, on trouvera un succès inattendu dans la vie ordinaire. On laissera en arrière bon nombre de choses ; on dépassera les frontières invisibles, des lois nouvelles, universelles, [garantes de liberté] commenceront à régner au dedans et autour de soi. » (Walden.)

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Accueil - Colette Poggi

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‣, philosophe, indianiste et sanskritiste, enseigne les philosophies du yoga et la pensée indienne . Elle est spécialiste du shivaïsme du Cachemire dont elle traduit les textes-sources. Parmi ses publications les plus récentes : La BhagavadGîtâ ou l’art d’agir (Équateurs, 2020), Âsana, voyage au cœur des postures (Almora, 2022), La Reconnaissance du Soi selon Abhinavagupta (Almora, 2023), Thoreau, yogi des bois (Équateurs, 2023).

‣, philosophe, indianiste et sanskritiste, enseigne les philosophies du yoga et la pensée indienne . Elle est spécialiste du shivaïsme du Cachemire dont elle traduit les textes-sources. Parmi ses publications les plus récentes : La BhagavadGîtâ ou l’art d’agir (Équateurs, 2020), Âsana, voyage au cœur des postures (Almora, 2022), La Reconnaissance du Soi selon Abhinavagupta (Almora, 2023), Thoreau, yogi des bois (Équateurs, 2023).


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